De ma fenêtre au cinquième étage j'ai une vue plongeante sur la rue en bas de chez moi et sur une petite maison où vit une vieille femme avec son petit chien.
Elle a les cheveux tout frisés et tout blancs. Elle porte toujours la même blouse bleue à fleurs. Elle est un peu grosse et rouge. Elle doit picoler un peu.
Elle a une bonne tête.
Son chien aussi a une bonne dégaine.
Il passe ses journées assis sur un coussinet posé sur le rebord de la fenêtre. Il surveille ce qui se passe dans son domaine, comme moi. Le matin, la vieille sort pour balayer son jardin. Elle discute avec l'un, avec l'autre.
Elle a un petit-fils : un pré-ado qui vient de découvrir avec enthousiasme Mötley Crue (je le sais grâce à son sweat-shirt à capuche) mais qui aime sa grand-mère (je le sais parce qu'il vient tous les mercredis pour sortir son chien).
Bientôt, sur le conseil d'un petit camarade, il découvrira Marylin Manson, reniera Mötley Crue et il voudra découper les seins de mamie avec un cutter rouillé. Mais n'anticipons pas.
Pour l'instant il a les cheveux un peu longs (pas beaucoup, il n'a découvert Motley Crue que huit mois auparavant) et l'ombre naissante sur sa lèvre supérieure l'encourage à rêver de moustaches folles, longitudinales et vibrantes à la Fu Manchu.
Chaque mardi, la vieille lui prépare son gâteau préféré pour le remercier de promener le chien.
Un matin, je la vois qui sort pour chasser ses feuilles mortes dans la rue. Comme d'habitude, essoufflée par l'effort, elle s'appuie un instant sur le manche de son balai et regarde autour d'elle.
En se tournant vers le mur de sa maison qui donne sur une rue perpendiculaire (un mur dont la vue m'est inaccessible), elle laisse tomber soudain son balai et ses bras avec.
Elle reste un bon moment à observer son mur tout en jetant des regards autour d'elle. Le premier voisin venu, elle l'agripppe et lui indique quelque chose sur le mur.
Le voisin commence à faire de grands gestes comme s'il était Monsieur Météo.
La vieille hoche la tête de droite à gauche comme pour signifier son incompréhension.
Le voisin semble s'emporter comme si ces cons de la régie avaient mélangé les animations vidéo, et la vieille hoche la tête de haut en bas comme pour signifier son abattement.
Elle semble abattue. Il semble compatissant. Il lui frotte un peu le dos. Elle rentre.
Bientôt une voiture de police arrive, deux policiers en sortent tranquillement. Ils sonnent à la porte. La vieille les conduit devant le mur. Ils se répartissent les tâches, ils ont l'habitude.
Tandis que l'un s'approche pour inspecter le mur, l'autre sort un carnet et y écrit quelque chose. La vieille leur parle avec animation, elle leur touche la poitrine pour les prendre à parti. Les policiers semblent compréhensifs mais ils ne lui frottent pas le dos.
Ils s'en vont.
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